Moke: Moke, peintre

28 Mars - 18 Mai 2024

La Galerie MAGNIN-A est heureuse de présenter Moke, Peintre, première exposition personnelle d’œuvres historiques de Moke.

Dans les années 60, à Kinshasa, l’exercice des arts était l’apanage des élèves formés à l’Académie des Beaux-Arts. À partir des années 70, la critique découvre un genre particulier de peinture que l’exposition « Art Partout »1 révèle au grand public.

Ce sont des artistes, tous jeunes, soucieux de l’environnement, de la collectivité et qui se revendiquent comme des « Artistes Populaires ». Ils produisent une nouvelle forme de peinture figurative mettant en scène la vie quotidienne et s’inspirent des événements politiques, économiques, sociaux dans laquelle toute la population se reconnaît. Chéri Samba, Ange Kumbi, Bodo, Chéri Chérin, et Moke en sont les principales figures. Pour Jean-François Bizot, « Moke fut le pendant réaliste de Chéri Samba et se fit un spécialiste des scènes de rue, des petits voleurs, des boîtes et de la danse. Il est mort trop vite, au tournant du siècle. »2

Mosengo Kejwamfi alias Moke, est né en 1950 dans le petit village d’Ibe, dans la province du Bandundu à l’est de Kinshasa. En 1960, âgé de seulement 10 ans, il arrive à Kinshasa à l’époque de l’Indépendance.  Il y découvre l’énergie de la ville et sa modernité, les sapeurs3, la vie nocturne, la Rumba… l’effervescence. Mettant en pratique l’article 154, l’improvisation comme moyen de survie, il élit domicile dans les marchés, récupère des fonds de pots de peinture industrielle et se met à peindre avec ses doigts sur des cartons. Il réalise son premier tableau « populaire » en 1965, à l’occasion de la fête commémorative de l’indépendance : une représentation du général Mobutu saluant la foule en tête du défilé sur le boulevard du 30 juin.

Il devient alors le chef de file de la première génération de peintres populaires à Kinshasa. Moke installe son atelier au croisement des artères Kasa-Wubu et Bolobo, au cœur de cette capitale brûlante et insoumise qu’il ne quittera jamais. Libérée de toute pression étatique, la peinture populaire devient rapidement un moyen privilégié de communication sociale. Les représentations des scènes quotidiennes en apparence banales révèlent, dans un contexte de pauvreté quasi généralisée, la réalité des conditions de vie bien différentes des promesses gouvernementales.

En 1972, Moke rencontre Pierre Haffner, alors venu prendre la direction des activités cinématographiques du Centre Culturel Français à Kinshasa. Ce dernier devient son principal commanditaire jusqu’en 1979, mais pas seulement. Haffner lui montre des films, des dessins animés comme le Livre de la jungle où les animaux de la brousse parlent comme des humains, des peintres à l’œuvre tels que Picasso devant la caméra de Clouzot. Il lui fournit des pigments et des sacs de farine en toile de la minoterie de Matadi afin qu’il puisse s’exprimer sur de plus grands formats. 

Moke signe le plus souvent Artiste Peintre Moke pour exprimer sa fierté d’être peintre. À part Chéri Samba, aucun peintre Populaire à Kinshasa n’a connu une carrière comparable, ni atteint une telle adhésion du public, qui peut être comparée à celle que connaissent certaines figures de la musique congolaise. Moke, peintre reporter de l’urbanité, présente dans ses toiles les évènements de l’actualité fixant ainsi la mémoire collective.

L’exposition Moke Peintre se concentre sur ses œuvres « historiques » des années 70-80 où il excelle déjà dans le traitement de la lumière et restitue avec un minimum de moyens, l’ambiance et l’énergie de Kinshasa. Dans ses scènes d’intérieurs, de couple, de marché, de nganda (« bars ») ... toute l’histoire est là, sans plus de bavardage.

Le départ de Pierre Haffner en 1979 est un bouleversement pour Moke qui perd son mécène, son interlocuteur. Il renonce un temps à la peinture pour se consacrer au travail de la terre mais, heureusement, d’autres se penchent déjà sur son œuvre. Dans les années 1980, ses commanditaires se multiplient et Moke transfère les thèmes cultivés la décennie précédente sur de plus grands formats, et les réalise avec de meilleures acryliques.

Dans la nuit du 26 septembre 2001, Moke buvait dans son atelier une Skol5 avec Chéri Samba. Personne ne se doutait que ce serait sa dernière. Il fut terrassé par un arrêt cardiaque, le pinceau à la main, peu après le départ de son ami. Kinshasa venait de perdre la plus affable et la plus talentueuse de ses grandes figures.

 

D’après André Magnin et Frédéric Haffner

 

 


 

1 Une exposition d’art Zaïrois moderne intitulée « Art Partout » organisée en 1978 à l’Académie des Beaux-Arts par Jean Pierre Jacquemin avec l’aide de Badi Banga, président de l’AICA/Zaïre, pour la quatrième session du Congrès International des Arts Africains (CIAF)

 2 Jean-François Bizot, Vaudou et compagnie, Histoires noires d’Abidjan à zombies, 2005

3 La SAPE, ou «Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes», est un mouvement culturel qui promeut un style de vie élégant et une apparence vestimentaire sophistiquée. Ses membres sont les Sapeurs.

4 L’article 15 « Congolais, débrouillez-vous ! » est un article imaginaire de la Constitution qui justifie pour chaque Congolais le recours aux magouilles et aux entorses à la loi pour gagner sa vie.

5 Skol et Primus sont des marques de bières très populaires au Congo.